Mardi 18 décembre 2007 à 22:09

                                     J'ai volé un livre. Il faisait déjà très nuit lorsque je suis rentrée de la journée d'appel. Il faisait bien nuit, j'avais fait du bouche à bouche et appuyé sur des sternums, regardé des choses de missiles et des murs infranchissables du parcours des combattants. J'avais mangé du thon et de la salade sans sauce, à croire que la vinaigrette n'est réservée qu'aux officiers. J'étais dans le bus et je dormais presque. Je m'en suis rendu compte lorsque mon sac a lentement glissé de mon genou avant de tomber par terre, j'étais assise dans l'allée centrale, j'ai ouvert les yeux et je l'ai ramassé. Le bus s'est arrêté, je voyais la lumière, les passants, les magasins et des fils dans le ciel que j'ai pris pour des câbles du tramway, alors bien sur, je suis descendu. En l'air, aucun fils, j'étais à quatre arrêts du centre. J'ai failli courir rattraper le bus mais je n'ai pas osé, pourtant il faisait un froid qui fait mal aux pieds. J'ai longé les boutiques, la boulangerie, il y avait de beaux beignets au chocolat, et même des macarons. J'ai compté mes sous, mais je n'avais pas assez. Si froid que j'écrasais le pied droit avec le pied gauche et ainsi de suite, ils étaient presque morts. J'ai continué sur le trottoir, et le stand d'une librairie. Les livres étaient bradés, je les voyais par au-dessus, dans leur caisse, je ne voyais que leurs tranches supérieures, toutes jaunies tâchées. Je voyais les pages cornées. J'ai tiré un livre au hasard, « Le roi de la pastèque », je l'ai remis, j'en ai pioché un second, « Biographie de Prévert », je l'ai remis, j'en ai pioché un troisième, « L'histoire de ma machine à écrire », un petit livre vert, je l'ai feuilleté, un petit magnifique, un renfermeur de secrets, et puis, au début, je n'avais pas remarqué et puis en regardant mieux. Juste à l'intérieur de la couverture un petit mot « En espérant que cela te plaira. Très bon noël Denis. Marianne » J'ai refermé le livre, regardé à l'intérieur de la boutique, de mon petit coin, je ne voyais rien, juste un petit angle qui donnait sur un pan de mur gris. J'ai collé le livre contre mon écharpe, je me suis retournée et j'ai traversé le passage piéton. Le petit bonhomme était rouge, j'ai bien failli me faire écraser. Je le serrais fort sur mon écharpe, les deux mains croisées. J'ai volé un livre, j'avais le cœur comme un tambourin.

Lundi 17 décembre 2007 à 22:57

Demain, journée d'appel, ils vont me faire entourer des mots en français, faire du bouche à bouche à des mannequins et regarder des chars et des films de guerre. Demain je mettrais les plus moches chaussures que je possède. Je serais un petit soldat au garde à vous avec une carabine avec un bouchon de champagne raccordé a une ficelle qui pend au bout et même pas une tresse juste les cheveux en couette moitier attachés derrière.

Dimanche 16 décembre 2007 à 22:59

La gare de Grenoble le samedi c'est un peu comme les galeries Lafayette en période de soldes. J'arrive entre tous ces gens, me faufile, et quand ça bloque j'attends que ça bouge, « Elle ne sait pas dire pardoon. » comme dit Gwen. Les composteurs sont en panne, je garde mon billet dans la petite enveloppe tout proche de la carte famille nombreuse. Je suis venue seule. Je porte mon petit sac d'école avec pyjama et brosse à dents. Rien d'autre, pas de valise pas de serviette de bain ni de pull, pas de rechange, pas même de paires de chaussettes supplémentaires. Je suis là comme si je sortais de l'école ou comme si j'y allais, Là en vadrouille un peu à la bourre comme si je passais dire bonjour. Les autres sont encombrés sous des choses lourdes et à roulettes. Je regarde le panneau d'affichage, le mien est le tout premier de la liste des départs et déjà à quai. Je me demande si j'ai assez de temps pour m'acheter un magazine avec les sous pour la bouteille d'eau. Lorsque je le vois. La tête fatiguée, je sais qu'il est proche du sommeil, pas vraiment loin de son lit, il a les neurones encore sous la couette. Il vient d'entrer dans la gare. Je ne m'y attendais plus, je crois qu'il me cherche du regard, s'approche du panneau d'affichage. Direction Paris Gare de Lyon en voix E, il entame l'escalier pour me trouver. Je fais claquer mes talons juste au derrière de ses pieds, il se retourne. J'aime les bisous de gare lorsque le train siffle, lorsque la porte se referme, lorsque le démarrage me fait trébucher. Je suis en 102, côté couloir, duplex du haut. Finalement je change pour la 116-117, qui me permet même de m'allonger. Ma tête dépasse légèrement dans le couloir, les pieds sur la mini poubelle collée en dessous de la vitre. Je vois rien qu'un homme un peu plus loin avec d'immenses oreilles grandes comme des demies assiettes à dessert. Sur la tablette je fais un dessin pour Mamie demain midi, à droite le jeune homme regarde quelquefois ma main qui s'affaire sur le papier et lorsqu'il s'étire les bras alors il penche encore plus la tête et je pense que là il voit mon dessin en entier. J'aimerais lui dire que j'ai compris la combin'. J'ai une place au soleil, les genoux à la limite, les pieds à l'ombre, le dessin, ça dépend. Trois heures et le train s'arrête. Le rendez-vous gare est toujours au Train Bleu. Je longe le quai pense que c'est la toute première fois que je fais tout ce chemin rien que pour un soir. Que c'est la première fois que je n'ai pas de valise. C'est étrange un Grenoble-Paris rien que pour des mots écrits il y a longtemps, rien que pour des mots qui parlent de valse et de petit air d'harmonica ; imprimés en six exemplaires, agrafés, envoyés sans trop y croire et vite oubliés. Je me souviens de cette matinée, ce samedi matin d'il y a plusieurs semaines où une femme parlait du Prix Vedrarias sur mon répondeur, du prix, de la remise le 15 décembre, de ma venue, du jury. J'étais encore au lit ce samedi matin, je m'étais assise précipitamment sur le rebord, et avais écris le numéro dicté dans le message, sur la peau de ma cuisse, jusqu'à mon genou. Au marqueur, pour être certaine de ne pas le perdre. Il est resté une semaine complète.
J'ai mal au ventre depuis 9h du matin, je suis juste devant le Train Bleu, cherche Papi. Le 15, c'est ce soir et j'ai mal au ventre. Dans la voiture, on arrive, il me dit que la cérémonie c'est dans le bâtiment que l'on voit la bas derrière les guirlandes. Il est bientôt 18h, nous entrons, je dis mon nom. Je rencontre la dame du répondeur, celle qui m'avait fait écrire son nom sur ma jambe. Elle plonge sa main dans une enveloppe kraft et me tend un badge Jessica LISSE que je dois accrocher au tissu de mon tee-shirt. Dans la salle, le premier rang est pour le jury, le second, pour les lauréats et leurs proches, et le reste, pour le reste. C'est comme une grande salle de cinéma, avec des fauteuils mous, des rideaux noirs sur les côtés. Deux micros sur la scène, ça rassure, qu'il y en ait deux. Un petit pupitre. Lorsque le monsieur se lève j'ai assez peur, lorsqu'il dit mon nom, j'ai peur et lorsqu'il m'invite à le rejoindre j'ai les jambes comme deux chamallows. Il présente mon texte et me pose des questions. Je parle aussi de l'autre nouvelle, celle pour Filaplomb, je parle d'internet, de mon blog, de mes petites écritures, il me dit que ma nouvelle sera lue juste après, me tend mon petit paquet vert enrubanné et je retourne au fond de mon fauteuil mou de deuxième rang. Lue ? Lue devant tous ces gens ? Ma valse dite au micro ? Par qui comment. Moi j'aime que l'on voit les mots les lettres, les retours à la ligne, j'aime que l'on voit les petits dessins de l'écriture sur le papier, la disposition des pages, qu'on les tourne, les pages, avec les doigts. Elle est devant nous derrière le micro, elle lit d'abord la nouvelle du grand monsieur très grand au pull bleu, je me dis qu'après elle n'aura peut-être plus le courage de lire la mienne qu'elle dira qu'elle en a marre et qu'elle est fatiguée, qu'elle préfère rentrer se coucher. Mais non, et dès la première ligne je sais que ce sera fort. Elle parle comme une chanson. Elle chante, aussi, le petit passage du fredonnement de l'Incroyable Noël de Monsieur Jack, elle fredonne, avec l'air. La chanson exactement comme je l'avais moi-même fredonnée en haut de cet observatoire il y a huit mois maintenant. Je redécouvre mon texte, je suis plus touchée que pour quoi que ce soit, plus touchée que pour tout. C'est comme un cadeau, je n'ai plus peur, plus peur de tout ce que j'ai dit dans cette nouvelle, plus peur d'entendre ça et de savoir que tous ces gens en rangées l'entendent aussi. Je n'ai pas de bras tout proche à serrer, j'aurais du en prendre un sur Grenoble, un bras à serrer fort dans cette salle. J'écoute comme si je n'avais rien écrit. Ca ne m'appartient presque plus. Je ne sais même plus si le plus dur c'est plutôt de lire ou d'écrire tant je suis impressionnée par la voix de cette femme guidée par mes mots, elle tourne les pages sans bruit, poursuit jusqu'au « Je n'ai jamais embrassé une fille si haut. » le haut comme un caillou. Ils applaudissent. Oui c'était un merveilleux cadeau.
Puis suit le moment où je mange des macarons au chocolat pour la deuxième fois de ma vie. La première fois c'était avec Jess en sortant d'une pièce de théâtre. Aujourd'hui mon macaron fond entre mes doigts tant je parle et je n'ose manger en parlant. « C'est bien, ce que vous avez fait. » De ce moment je garde tant de choses gentilles, je regarde les adultes du bout de mon macaron, toutes ces personnes qui ont lus et écrit plus de livres que tout ce que j'ai à la maison.

Jeudi 13 décembre 2007 à 22:03

                                  On va faire un arbre, pas un sapin, pas un sapin de noêl, plutôt un arbre de janvier, un arbre de printemps, rattrapé par le temps, les jours les semaines qui passent si vite que nous n'avons pas eu le temps de l'ébaucher. Il n'a pas de tronc, pas de branches et pas de feuilles. Il est juste beaucoup de plaques de carton dans ma pochette à dessins, et beaucoup de mais que vas-tu bien pouvoir faire de tant de carton. Je réponds que c'est un secret, que je montrerais quand ce sera prêt, mais je crois surtout que je ne montrerais rien. Au début on avait pensé à deux triangles emboîtés comme font les enfants mais en dix fois plus grand, et peint, en autre chose que du vert, sans boules et sans guirelandes. Et puis non, ce sera bien autre chose, pas de sapin pointu en forme de triangle, quelque chose de plus arbre, de plus jardin, de plus film à la Miyazaki. Ce soir je me couche tôt. Comme ça je peux faire des choses dans mon lit rester sur place et lire écrire ou faire du bricolage en tendant le bras pour atteindre ce qui se trouve sur le sol, ne pas sortir les pieds. Le rebord bois est toujours très froid.

 

Mardi 11 décembre 2007 à 22:28

                   Ces images sont si belles qu'on dirait bien qu'elles sont faites en peau. C'est un petit corps avec beaucoup de contrastes, ceux faits par le nombril, par les intersections de bras de jambes, les creux des os, du cou, des genoux. Ces photos sont douces comme quand on s'assoit à vingt centimètres d'un feu de cheminée, alors on peut avancer ses pieds pour se réchauffer, sans pour autant se brûler, ces photos, c'est la limite.
Les filles qu'éternuent elles se taisent. Ce soir c'est à moi d'éternuer, mon parapluie aussi, éternue là sur le sol à côté de ma table de nuit. Demain, sur le site de la météo, il n'y a pas de pluie animée au-dessus de ma ville, rien que de gros nuages surmontés d'un petit deux-trois degrés. Mon parapluie, s'il pouvait parler, m'insulterait ces derniers jours, il passe son temps à se courber, se tordre, se recroqueviller, son temps à crouler sous les gouttes jusqu'à se retourner complètement.

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