Mardi 5 août 2008 à 20:40

Je me souviens très bien de ma toute première visite chez la psychologue. Elle s'appelait Pâquerette. Je devais avoir une dizaine d'années, j'ai tout de suite pensé que si elle avait un prénom si original (je n'avais jusqu'alors jamais rencontré personne qui s'appelait ainsi), c'était que tous les psychologues avaient des prénoms de la sorte. Et que ses parents avaient su, bien avant sa naissance, qu'elle effectuerait ce genre de métier. J'avais pensé tout cela dans le cabinet du docteur qui m'avait tout d'abord parlé de mon poids, puis du fait qu'il serait peut-être bien que je consulte une psychologue, avant d'ajouter qu'il en connaissait une très bien, une Pâquerette. C'était pendant le divorce. Ensuite je me souviens du trajet en voiture, du fait d'avoir conscience d'aller quelque part pour faire quelque chose dont j'ignorais absolument tout, de rouler en direction de quelque chose de totalement inconnu. J'étais malade, j'avais un rhume depuis plusieurs jours, un rhume qui faisait pleurer mes yeux à chaque fois que je toussais, je me souviens de papa qui m'avait dit en rigolant de bien préciser à Pâquerette que je ne pleurais pas de tristesse mais seulement à cause de la toux.
Il m'a déposé dans le bureau face à elle sur le siège du patient, puis elle lui a demandé de retourner dans la salle d'attente. Je me souviens avoir pensé que je devais vraiment montrer à cette femme qu'elle ne perdait pas son temps. Que je devais être à la hauteur, avoir mon lot de problèmes. J'ai soudain eu peur qu'elle rit, qu'elle se dise que j'étais rien qu'une petite guimauve pleurnicharde, qu'elle me demande de ne pas revenir. Elle ne disait rien, je me préparais dans ma tête, je cherchais ce que je devais dire. Elle m'a demandé ce qui m'amenait ici, elle m'a demandé de lui raconter quelque chose, sans me poser de question plus concrète. Je trouvais déjà cela trop difficile. Alors je n'ai rien dis, je me demandais si elle voulait du tragique, j'avais peur de parler, peur qu'elle m'interrompe pour que je recommence, peur qu'elle me dise qu'elle attendait autre chose de moi, qu'elle attendait de la souffrance, du tabou, des choses impossibles à dire. J'ai commencé à pleurer. Elle a sorti la boîte de mouchoirs du dessous du bureau, j'ai pensé, à cet instant, qu'elle l'avait préparé pour moi. A la seconde suivante je réalisais qu'elle achetait ses mouchoirs au supermarché et qu'ils étaient destinés à tous ses patients. J'ai pensé qu'en pleurant ce serait plus facile, qu'elle dirait quelque chose, ou qu'elle me prendrait dans ses bras, car c'était une femme.
Une femme un peu ronde, un peu rousse, elle me faisait penser à une maman, à une maîtresse, à une dame qui a de la pitié, qui est sensible aux larmes. Mais elle ne l'était pas, elle me regardait de la même manière qu'à mon arrivée dans le bureau. J'ai reniflé et lorsque je pus enfin parler je me souviens avoir dis calmement « Mon père frappe ma mère. » Je mentais en me disant « Pourquoi pas. », je n'avais rien à raconter alors j'inventais, ça collait aux larmes, ça collait au bureau, à son métier, au rendez-vous. Je me sentais bien d'avoir quelque chose que je trouvais grave à raconter. Ca ne lui faisait pas plus d'effet que si je lui avais décris de quoi était composé mon petit déjeuner. « Mon père frappe ma mère et ma mère pleure. » Elle ne bougeait pas un sourcil. J'imaginais papa dans la pièce à côté, qui attendait la fin du rendez-vous, peut-être était-il sortis se balader, boire un verre dans la rue. Et puis soudain, elle a parlé. « Et qu'est-ce qui te fait le plus souffrir, d'entendre les coups, ou les pleures de ta maman ? ». « Les coups. » J'avais mentis une première fois, je mentais une seconde fois. Je savais par-dessus tout que les pleures de maman ou ceux de papa étaient les choses au monde qui me faisait le plus souffrir, c'étaient de ces instants ou j'avais l'impression qu'ils n'étaient que des petits enfants, qu'après ça ils ne pourraient plus jamais me consoler, puisque eux aussi, étaient capables de pleurer. A la fin de l'heure, j'avais honte de mes joues rouges devant papa, et honte de montrer papa à Pâquerette, de l'avoir accusé à tort, pour me sentir captivante.

Par L. le Mardi 5 août 2008 à 20:47
Merci d'écrire long, merci d'écrire en bloc.
J'aime. Cette façon d'écrire, de tourné certaines phrases.
Par Ligne le Mardi 5 août 2008 à 20:52
aller vers l'inconnu, la dame un peu frisée, blonde, avec son regard fixe. et la stagiaire, derrière qui écrit tes moindres dires. J'étais plus grande, je ne pleurais pas, je voulais faire la grande, celle qui savait ce qui n'allait pas, qui n'avait pas besoin d'aide, qui était déjà mature et réfléchie. déjà.
ça ne m'a pas franchement changé.
Par osez.josephine le Mardi 5 août 2008 à 21:22
Je lis ce texte magnifiquement bien écrit et tellement émouvant. Et j'ai une inpression de déjà vu, je n'arrive pas à savoir pourquoi, c'est étrange. J'aime ta façon d'écrire et de dire les choses telles qu'elles sont.
Par privatemotion le Mercredi 6 août 2008 à 11:44
je me serais bien laissé emporté encore un petit peu.
J'aime en écoutant Bon Iver.


Par Austailes le Vendredi 8 août 2008 à 20:41
La façon dont tu as écrit ce passage, ce 'bloc' dont tu t'es excusé, est intéressante. En effet, on a une impression de déjà vu. Le fait que la petite fille ait menti pour se sentir captivante face à la psychologue, est digne d'un être humain. Quiconque ayant un problème, ou un soucis quelconque, aime se rendre intéressant pour qu'à la fin il puisse être aidé, même si il ne le montre pas forcément. Tel le choix de la fillette...
Par lancien le Dimanche 10 août 2008 à 11:45
Quel beau portrait. On s'y croirait et cela a gardé la fraicheur de l'enfance.
Cela me réconcilierait presque avec les psys !
Par Sa. le Mercredi 13 août 2008 à 11:38
La première question qui me vient, c'est bete peut-etre, mais c'est de savoir si tu as su te defaire de cette histoire.
Moi je vais te raconter, bien des années après le divorce de mes parents, je suis allée chez cette dame blonde et souriante, qui avait une fille dont le prénom est le diminutif de celui de ma mère. On l'appelle officiellement une "mediatrice" mais c'est un peu froid et pas drole comme nom. Je me suis sentie toute desemparée comme toi, à penser que mes parents étaient de grands enfants et c'est la seule chose que je lui ai dit avant de me mettre à pleurer. L'important n'est pas là, mais c'est ce qui s'ensuit.
Elle m'a raconté de sa voix qui sait defaire tous les problèmes que pleurer était positif, que pour elle les larmes sont des mots et m'a tendu la petite carte qu'il y avait sur son bureau. Dessus était dessiné e une tete avec des mots dedans. Rien de bien artistique, plutot symbolique. Des larmes sortait des yeux de cette personne et les mots étaient ecris dans les larmes. En fac de cette personne, l'interlocuteur cueillait les larmes.

Voila, je voulais juste partager cela parce que ton texte m'y a fait penser immédiatement. Seulement parce que maintenant je repense aux mots dans les larmes à chaque fois que je ou quelqu'un pleure, et je me dit que la personne en face sait peut etre les comprendre et les cueillir.
Par conséquent si tu as pleuré, tu n'as pas tout à fait menti à cette dame au cheveux roux frisés.
Par alizee-et-blanche-neige le Lundi 18 août 2008 à 19:55
Moi aussi j'aimerais bien mentir et qu'elle me prenne dans ces bras,
mais moi elle s'apelle pas Paquerette alors ça marcherait surment pas.<3
 

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